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L'importance d'un vignoble au Moyen-Age : Argences

Culture de la vigne en Normandie
par

M. l'Abbé Cochet
Aumonier du Collège Royal de Rouen (1)

(extrait)

 

...l’abbaye la plus riche en vignobles, celle qui tirait le plus de vins du pays, et qui percevait les plus grands droits, celle, enfin, qui exploitait sur une plus grande échelle les établissemens vinicoles de la contrée, c’était la royale abbaye de Fécamp. Au XIe siècle, le duc Richard lui avait donné, au diocèse de Bayeux, le bourg d’Argences avec son église, ses terres, ses prairies, ses vignobles, ses forêts, ses moulins, ses eaux et ses cours d’eau. Argences, dès ce temps-là, était réputé pour son excellent vin ; car la charte dit : « Argennæ vicus qui optimi vini ferax est (2). »

La possession de cette exploitation si lucrative était attachée à l’office de sacristain, et voici comme une vieille tradition explique l’origine de cette propriété. Le duc Richard était très pieux. Un jour, il se laissa enfermer dans l’église de l’abbaye, pour y prier Dieu tout à son aise pendant le silence des nuits. Par hasard, le frère sacristain s’avisa de faire sa ronde cette nuit-là dans l’église : il trouva le prince agenouillé au pied d’un autel. L’obscurité l’empêchant de le reconnaître, il le prit pour un voleur, le traita en conséquence, et le mit à grands coups de pieds hors l’église. De part et d’autre, on garda le silence, le prince pour ne pas être reconnu, le bénédictin pour ne pas manquer à la règle. Le lendemain, le duc fit venir le sacristain, et lui demanda s’il se souvenait de l’histoire de la nuit passée ; il lui confessa alors que le maître de la Normandie en était le héros. Le sacristain, épouvanté de cette révélation, se jeta aux pieds du duc, demandant pardon et miséricorde : « Non pas ! dit le prince : vous avez fait votre devoir, et, pour vous récompenser, je vous donne le vignoble d’Argences, mais vous saurez que cette faveur est spécialement accordée à votre exactitude à garder la règle du silence. »

L’abbaye posséda avec beaucoup de succès les vignes d’Argences, et, au XIIIe siècle, elle en tirait d’immenses profits. Nous trouvons, dans un cartulaire de cette époque, les comptes particuliers des récoltes qu’elle y faisait ; il n’y est question que de galons, de pintes et de bouteilles de vin : « Galones, pintas et lagenas vini (3). » Il y avait un moine préposé à la surveillance générale de cette vigne, qui demeurait sur les lieux, et louait les ouvriers pour tailler au printemps, et vendanger en automne. Il y avait aussi des procureurs aux vendanges « procuratores in vindemiis », des vendangeurs pour la récolte « qui vina colligebant », et des gardiens pour le pressoir « qui torcular custodiebant. » On voit que le service était parfaitement organisé.

 

 

 

 

 

 

 

 

NOTES :
(1) Mémoire lu à l’Académie royale de Rouen, et à la Société libre d’Émulation de la même ville en 1844.

(2) Neustria Pia, p. 213. - Cette vigne d’Argences était très recherchée, car le duc Robert avait déjà donné à l’abbaye de Cerisy « in Argentiis tres arpennos terræ ad vineam faciendam. » Neust. pia, p. 431.

(3) Cartulaire de Fécamp, aux Archives départementales (il faut comprendre aujourd'hui AD 76).



28/04/2011
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